Services publics : l’IA pour remettre de l’humain au cœur de la machine, un vœu pieux

Avec l’arrivée de l’Intelligence Artificielle (IA), l’État voit une opportunité formidable de ré-humaniser les services publics : en traitant certaines tâches plus vite avec l’IA, les agents auront plus de temps pour recréer du lien avec les usagers. Une volonté sincère de faire confiance en la technologie qui pourrait bien ne pas atteindre l’objectif escompté.

Améliorer la qualité de vie des agents est une disposition écrite noir sur blanc dans le rapport “Débureaucratiser:Pour des services publics plus proches, plus simples, plus humains”, issu du 8ème Comité interministériel de la transformation publique du 23 avril 2024. Pour réussir, l’État veut « doter les agents d’une Intelligence Artificielle [IA] conversationnelle ». Selon le document, l’IA aura pour objectif de libérer du temps aux agents en leur permettant « de répondre plus rapidement et plus efficacement aux demandes des usagers, en ligne et aux guichets. »

Et les premiers résultats obtenus auprès des réseaux de services publics et des 1 700 agents qui ont expérimenté le dispositif sont très encourageants : « les agents considèrent les réponses utiles dans 75 % des cas, ce qui a permis de faire passer le temps moyen de réponse de 19 jours à 3 jours en moyenne » Cette accélération via l’IA, insiste le rapport, se fait au bénéfice de plus de liens humains au sein des services publics.

Mais cette volonté de débureaucratisation par la technologie pourrait bien masquer un défaut de moyens humains et ne pas tenir compte de la réalité du terrain. Ces choix sont faits en dépit des compétences réelles des agents. Entre accélération du rythme de travail et peur d’être dépassé par la technologie, pas certain que tous s’y retrouvent. Sans compter le sentiment d’être dépossédé du savoir.


La ré-humanisation par l’IA à l’épreuve du terrain

Lors de la convention “IA : la voie citoyenne” au Conseil économique, social et environnemental (CESE), le 7 février dernier, le témoignage de Christophe Moreau du syndicat FSU Emploi pour le personnel de France Travail retranscrit bien l’enjeu autour de l’intégration de l’IA dans les métiers. Il estime que les objectifs fixés sont « devenus de plus en plus inatteignables au regard de la réduction des moyens » et que dès lors, l’IA s’impose dans la réponse aux cas simples comme aux cas complexes.

À titre d’exemple, Christophe Moreau évoque le cas du GARO, le guide d’aide à la rédaction d’offres, intégré à ChatDoc, un outil d’IA interne à France Travail pour aider les agents à lire plus rapidement des documents : « j’ai commencé il y a 35 ans, il n’y avait pas besoin de documentation de 129 pages pour rédiger une offre ! ». Il pose alors la question en creux : l’IA est-elle indispensable dans ce cas ou est-ce la taille du document qui n’est pas adaptée ?

« Perte d’autonomie, perte de sens, on a complexifié des process et donc on met de l’IA pour résoudre cette complexité », conclut Christophe Moreau. Cette gestion des situations par l’IA renvoie aux principes de probité et de transparence car elle rend difficile l’explication des réponses par un humain. Pourtant, le service public doit légalement être en capacité d’expliquer à ses administrés les décisions individuelles les concernant.


Un optimisme béat face à la technologie

« L’objectif, on le voit, c’est réduire le nombre de personnel dans les administrations publiques et non faciliter le parcours utilisateur », s’indigne de son côté Benoît Piedallu, membre de l’association La Quadrature du Net, que nous avons rencontré en marge de cette convention. « Il y a une tentative d’intégrer au forceps l’IA dans le parcours des usagers. Mais on voit que ça ne correspond pas du tout au besoin ! »

« L’IA est un outil statistique qui n’engage la responsabilité de personne. Ce n’est qu’un outil statistiques qui a pourtant des impacts réels sur les bénéficiaires d’allocations et beaucoup d’autres usagers », poursuit-il. « Par ailleurs, l’IA ajoute du travail aux agents car les réponses générées sont souvent mal faites ». À ses yeux, l’IA est juste un espoir : « il y a un optimisme béat face à la technologie ! »

Pour que l’IA puisse potentiellement devenir un levier pour ré-humaniser les services publics, son implémentation va devoir être très progressive et faite de manière partagée, débattue avec toutes les parties prenantes. Imposée comme elle l’est aujourd’hui, elle semble déjà créer plus de fractures au sein des administrations, générer de la surcharge de travail aux agents et fournir des réponses inadaptées et non transparentes aux usagers.

Comme le rappelle le CESE en conclusion de son rapport : « il convient d’interroger la finalité de la modernisation des services publics ». La question se pose en effet : plus de technologie pour plus de lien humain, n’est-ce pas, au-delà d’être contre-intuitif, un potentiel impensé face à la réalité de terrain des agents et au besoin d’attention requis par les situations sociales toutes singulières des usagers ?

LÀPJOURNAL

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