Agences de l’État : une nébuleuse au sein de l’administration publique ? 

Désirant « débureaucratiser » la France, le Premier ministre a blâmé le coût trop élevé des agences de l’État dans un contexte de réduction de la dépense publique. Des agences exerçant pourtant des missions de service public mais dont l’organisation et le fonctionnement, voire l’utilité, sont remis en question par certains représentants politiques.

“Aujourd’hui, je ne crois pas que les moyens de l’État aillent au bon endroit. Ils ne vont pas assez au terrain et trop dans tout ce qui est bureaucratie, paperasse”, a déploré François Bayrou lors de son interview face à Darius Rochebin sur LCI le 27 janvier. Dans le viseur du Premier ministre : les agences de l’État dont il évalue le coût à 83 milliards d’euros (77 milliards en 2025 selon le PLF). 

Appelant à un “puissant mouvement de débureaucratisation du pays dans un contexte de réduction de la dépense publique, le chef du gouvernement avait déjà questionné lors de son discours de politique générale la nécessité des “plus de 1.000 agences, organes ou opérateurs [qui] exercent l’action publique” et constituent un “labyrinthe”. La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a, de son côté, demandé aux ministères d’économiser “5% sur les dépenses de toutes ces agences”, pour “plus de 2 milliards d’euros d’économies”. 

1244, 434… Des chiffres disparates 

Face à Darius Rochebin, le Premier ministre évoquait le nombre de 1 244 agences tandis que le président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat, Mathieu Darnaud, les estimait dans les colonnes du Figaro, à“ environ 1 200 opérateurs, dont 438 agences”. Des chiffres qui “méritent d’être précisés”, note toutefois cet initiateur d’une demande de commission d’enquête sur le coût et les missions des agences. 

Le chiffre évoqué par François Bayrou semble tout droit sorti d’un rapport de 2012 de l’Inspection générale des finances (IGF) alors que le “jaune opérateurs” – une annexe du projet de loi de finances (PLF) listant les opérateurs ainsi que les crédits alloués – les compte pour sa part au nombre de 434 pour 2025 et indique une diminution de 33 % par rapport aux 649 comptabilisés en 2008. 

“Agences”, “opérateurs”… de quoi parle-t-on ? 

Les différences de chiffres peuvent s’expliquer par les divergences de définitions entre agences et opérateurs. La Cour des comptes avait d’ailleurs pointé du doigt dans un rapport de 2021 une “frontière qui n’apparaît pas toujours claire”.  

S’ils sont définis par le ministère de l’Économie comme “des organismes distincts de l’État, dotés de la personnalité morale, exerçant […] des missions d’intérêt général”, ils existent en réalité sous une grande variété de statuts juridiques répondant à des champs d’opération étendus. 

Le rapport de l’IGF utilise quant à lui le terme d’”agences” afin de qualifier “les entités à la fois contrôlées par l’État et exerçant pour son compte des missions de service public non marchand.” À ce titre, “la liste de 1 244 agences du rapport IGF de 2012 comprend en plus des commissions et des services qui n’ont pas de personnalité morale et font partie de l’État”, explique François Ecalle, président du site spécialisé dans l’analyse économique, Fipeco, auprès de L’À-propos. De son côté, le Conseil d’État indiquait que les opérateurs peuvent être des agences mais “ce n’est pas le cas de la majorité”, dans son étude annuelle de 2012

Selon le jaune opérateurs, ces organismes sont missionnés sur des politiques publiques très diverses. Quantitativement, une majorité d’entre eux portent sur la Recherche et l’Enseignement supérieur et la culture (290 sur 434 d’après le jaune opérateurs), en comptant 70 universités. Au niveau budgétaire, cinq opérateurs comptent pour 57% des subventions publiques allouées, soit 20 milliards d’euros. Dans l’ordre : les universités, le CNRS, France Compétences (formation professionnelle et apprentissage), France Travail et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Le reste des opérateurs se partagent les 15 milliards restants et concernent tout aussi bien l’économie, que le sport, l’agriculture, la gestion de l’eau, la défense, la justice ou la santé.

Des “comités Théodules” au “maquis” d’agences de l’État : les agences mises au pilori 

Le foisonnement de ces agences fait pourtant l’objet de nombreuses critiques au fil des rapports, notamment quant à la “cohérence d’ensemble de l’action de l’État”. Pour sa part, l’IGF insiste sur des créations d’agences “de façon ponctuelle, sans cohérence d’ensemble, et sans réflexion systématique sur leurs conséquences sur le reste de la sphère publique”, mettant notamment le doigt sur un manque de “ répartition des compétences […] suffisamment précise pour éviter les frottements” entre acteurs. 

Une critique de nouveau formulée ces derniers jours à l’encontre de ces “comités Théodule” – de la formule du Général de Gaulle en 1963 qualifiant d’ores et déjà certains comités d’inutiles. Les sénateurs ont ainsi voté un amendement au PLF 2025 prévoyant la suppression de l’Agence bio (depuis retoquée par le gouvernement), estimant que ses missions pouvaient être reprises par le ministère de l’Agriculture ou par l’agence FranceAgrimer. De son côté, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, suggère sur France Inter la suppression de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), expliquant vouloir “[transférer] son budget aux régions”, tous les projets financés par l’agence l’étant également « de la Banque des territoires et des régions ». 

Des agences au “professionnalisme accru” 

Ces agences et opérateurs sont pourtant reconnus pour leur rôle dans l’application de politiques publiques. Le Conseil d’État avait ainsi souligné “leur spécialisation [qui] leur permet d’accomplir leurs missions avec un professionnalisme accru”, notamment par le “recrutement de personnes dotées de compétences inhabituelles dans les services de l’État”

Face aux attaques, l’Ademe s’est ainsi défendu par la voix de son président, Sylvain Waserman, devant les députés de la commission du développement durable à l’Assemblée nationale. Le PDG a expliqué le rôle de l’agence face à “l’enjeu climatique” mais aussi dans “un intérêt financier de souveraineté pour moins dépendre notamment de l’importation des énergies fossiles”. Fin 2024, le Rassemblement national (RN) avait déjà proposé de supprimer 80 agences publiques – avec, parmi elles, l’Ademe – tandis que LR proposait déjà dans sa convention de mars 2021 de supprimer “la majorité des agences et des opérateurs”. 

Dans un rapport datant de 2012, le Conseil d’État proposait déjà que le gouvernement définisse des règles claires de recours aux agences, par quatre critères : l’efficience, l’expertise, le partenariat, l’impact. Un constat partagé par la Cour des comptes, qui recommandait en 2021 à l’État de “renforcer son pilotage stratégique sur ses opérateurs.” Le signe d’une solution davantage axée sur la réorganisation que sur la suppression de ces opérateurs, malgré l’ampleur et la complexité de la tâche ?

LÀPJOURNAL

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