« Débureaucratiser » : le poids des mots

L’À-Propos commence une série d’article de décryptage. Cette semaine, on s’attache à mieux comprendre l’objectif de « débureaucratisation » régulièrement abordé par la classe politique et faisant l’objet d’une feuille de route gouvernementale présentée en 2024. Mais qu’est-ce que c’est ? Et si l’on parle de débureaucratisation des services de l’État, est-ce bien la fonction publique qui est visée ? Pour quels objectifs et par quels moyens ?

Le terme de bureaucratie désigne une structure organisationnelle, qui peut s’appliquer à de nombreux secteurs : public, privé, syndical, associatif, etc. Concernant les services publics, la bureaucratie peut être assimilée à la fonction publique, en tant qu’elle règlemente et gère les affaires publiques pour l’État, à destination du public, de ses « administrés » et « usagers », qui peuvent être « contribuables », « citoyens », ou simplement présents sur le territoire.

La fonction publique a deux missions. En premier lieu, l’administration assure la continuité des services de l’État et de toute autre autorité publique sur le territoire national. La fonction publique et ses agents, fonctionnaires ou contractuels, conduisent aussi le changement, via les politiques décidées par le Gouvernement, sans pour autant y être affiliés politiquement. Selon le rapport annuel sur l’état de la fonction publique, la fonction publique emploie 1 salarié sur 5 en France, soit 5,70 millions d’agents publics. Le Gouvernement envisage-t-elle sa restructuration ?

Une amorce frontale au plan de « Débureaucratisation »

« Débureaucratiser à tous les étages ». Ainsi débute la feuille de route gouvernementale, reprise par l’actuel ministre de la Fonction publique dans son discours de passation. Si débureaucratisation rime avec perte en pouvoir des bureaux, la logique voudrait que les mesures visent d’abord les couches administratives de l’État, ou tendent vers la décomplexification du système actuel afin de mieux piloter son activité globale. Mais quels « étages » bureaucratiques sont-ils visés par cette feuille de route ?

La fonction publique donc, une masse salariale conséquente dont les spécificités devraient donner de l’épaisseur au projet gouvernemental. La page de présentation du 8e Comité interministériel de la transformation publique (CITP) affiche des objectifs diligents : « pour des services publics + proches + simples + humains ». À première vue, des objectifs qui pourraient affecter la fonction publique dans son fonctionnement, ses effectifs et ses missions.

Le signe de nouveaux modes de management

Outre le premier point du plan « Re-humaniser le service public grâce à l’intelligence artificielle », qui interroge de prime abord sur le poids des mots, la suite fournit quelques réponses au lecteur assidu.

Pour développer leurs politiques de terrain dites « prioritaires », les préfets devraient être dotés d’une nouvelle compétence leur permettant d’évaluer leurs chefs de services pour fixer leur niveau de rémunération variable annuelle. Plus de résultat, plus de salaire. Un engagement qui témoigne d’une certaine volonté de déconcentrer davantage les pouvoirs de la fonction publique d’État, et surtout, d’emprunter au privé des méthodes managériales pour le moins incitatives.

Les préfets ont également obtenu des moyens exceptionnels pour la mise en œuvre de la feuille de route : la possibilité de recruter des experts de haut niveau, dont 50 ont déjà été recrutés en 2024, sans précision sur leurs statuts ou rémunérations. Une opération de « débureaucratisation » qui peut elle aussi interroger, tant sur la taille des bureaux nécessaires pour accueillir ces nouvelles recrues, que sur ses coûts.

Pour une meilleure proximité des agents de terrain ?

En comptant les enseignants des établissements publics, la fonction publique d’État demeure le premier employeur public, devant les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Dans la fonction publique territoriale, une large majorité des effectifs sont divisés entre les filières « administrative » (23%) et « technique » (45%), ne laissant que 32% aux 9 autres filières (culturelle, sportive, sociale, médico-sociale, médico-technique, police municipale, incendie et secours, animation et hors filières).

52% des effectifs de la territoriale sont attribués aux communes, 15% aux intercommunalités, 13% aux départements, 5% aux régions, laissant 15% d’effectifs à partager entre centres sociaux, caisses des écoles, centres de gestion, caisses de crédit municipal, régies. Dans l’objectif d’un service public « + proche », les effectifs de la fonction publique d’État seront-ils décentralisés vers la fonction publique territoriale ? Les effectifs « administratifs » redistribués vers les filières de terrain ou spécialisées ?

Si aucune référence à de potentielles mutation ou réorganisation ne peut être trouvée dans la feuille de route, le plan annonce bien de nouvelles maisons France Services en fonction des besoins des territoires, avec la possibilité d’aller jusqu’à 3 000 au total d’ici 2027. Le plan ne fait toutefois pas mention du rapport d’évaluation de la Cour des Comptes, qui, au-delà du nombre de maisons France Services, avait alerté sur leur qualité, en soulignant que 24% des agents d’accueil de ses maisons « débutent dans ce type d’activités [d’accompagnement, ndlr], en dépit de la complexité des fonctions d’accueil et d’accompagnement en espaces France services. »

En parallèle, une nouvelle Agence de conseil interne de l’État a été créée en mars 2024 pour « accompagner les services de l’État […], rendre les politiques publiques plus efficaces et aider les administrations à conduire leurs projets de transformation. » L’objectif : réduire les dépenses de conseil externe, largement critiquées, en recrutant 75 spécialistes du conseil en transformation, en interne. Un nouveau casse-tête pour la taille des bureaux.

LÀPJOURNAL

GRATUIT
VOIR