Alors que le gouvernement démissionnaire prépare sa rentrée budgétaire en rédigeant son projet annuel de programmation de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (PLFSS), L’À-Propos revient sur les enjeux liés au secteur de la santé en France. Pourquoi parle-t-on de la mort des hôpitaux ? Quels défis comptables, pour qui, et pour quoi ?
Zoom sur la nomination de Romain Lacaux au Pôle Lyon de Ramsay santé
Romain Lacaux a été nommé directeur du Pôle Lyon de Ramsay Santé, la filiale française du groupe Ramsay Health Care, une entreprise australienne devenue n°1 de l’hospitalisation privée en France en terme de nombre d’établissements, devant son concurrent Elsan.
Ce nouveau directeur, diplômé du master “HEC entrepreneurs” à Grenoble et Saint-Etienne, a d’abord consacré son début de carrière au conseil, au sein d’Atos Consulting, avant de diriger plusieurs hôpitaux pour le compte de Ramsay Santé, et de faire une petite escapade de 6 ans au sein du groupe Vitalia, un autre groupe d’hospitalisation privée.
Un profil qui viendra certainement consolider les pratiques de rentabilisation du secteur privé de la santé, et draguer de potentiels investisseurs similaires au fond d’investissement américain KKR, qui s’était déjà positionné en 2022 pour racheter la maison mère Ramsay Health Care pour un montant de 14 milliards d’euros avant de retirer son offre.
Financement de l’hôpital : public/privé, même combat ?
Pourquoi l’hôpital privé existe-t-il? La privatisation des hôpitaux répond à un manque de moyen de l’offre publique : en empruntant des leviers économiques visant à limiter les coûts, maximiser les bénéfices et en sollicitant des investisseurs extérieurs, le privé est censé pouvoir mieux gérer une crise de financement, comme nous en vivons en ce moment. Mais dans les faits, le secteur privé rencontre les mêmes difficultés que le public. Quels en sont les causes et conséquences concrètes ?
Les finances de l’hôpital
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les deux secteurs privé et public vivent largement des financements de l’Assurance maladie. Cette « rémunération » des établissements de santé est basée sur un forfait simplement nommé « T2A », soit la tarification à l’activité : l’exécution de chaque soin correspond à un coût facturé à l’Assurance maladie, et dont la grille tarifaire est fixée annuellement par le gouvernement par arrêté.
Mise en place à partir de 2004, ce tarif est le mode de financement prédominant des établissements de santé privés et publiques. Il a succédé à un système dual, où l’hôpital public vivait de dotations annuelles (un budget prédéfini) et le secteur privé était rémunéré à son activité, comme aujourd’hui, mais sur la base de tarifs régionaux variables.
La PLFSS 2024, passé en décembre 2023, a réformé à nouveau ce modèle de financement. En plus de la tarification à l’activité, la loi a augmenté la part de financements par dotations pour les activités les activités répondant à des objectifs de santé publique et celle du financement « mixte » entre ces deux modes de financement, pour les activités de soins aigus.
Deux catégories coexistent dans le secteur privé de la santé : le lucratif et le non-lucratif (les établissements de santé privé d’intérêt collectif dits « Espic »). La première catégorie constitue la majorité des plus grands groupes s’étant installés dans le secteur privé de la santé en France (Ramsay Santé, Korian, Elsan, Avec, etc.).
Alors que le service public doit se contraindre à respecter l’Ondam – des objectifs annuels de coupe budgétaire pour limiter le déficit des établissements – le secteur privé, lui, souhaite augmenter sa rentabilité pour ses investisseurs (et souvent, lui aussi, sortir du déficit).
La tirelire de la santé de Margot Soulat
Entre rentabilité et survie
Ces tarifs, dotations et coupes budgétaires étant fixées par une autorité politique, par arrêté ou ordonnance, parfois avec peu de consultations des autorités compétentes, les difficultés des hôpitaux publics et privés proviennent de la même source : le manque de moyens. Or, les deux secteurs n’emploient pas les mêmes outils pour contrer leurs difficultés financières.
Pour tout service soumis à un objectif de rentabilité, la question demeure la même : comment limiter les effets négatifs sur la qualité, si la quantité prévaut ? En effet, lorsque la facturation est soumise au nombre d’activité exécutée par un hôpital, la question en devient essentielle.
Alors que l’hôpital public vient majoritairement compléter ses revenus par des activités de formation et d’enseignement pour subvenir difficilement à ses besoins, le secteur privé va lui jouer, entre autres, sur les dynamiques d’offre et de demande pour combler son déficit. Cette pratique fait l’objet de toutes les critiques : entre autres, les cliniques appliquent des honoraires supplémentaires et développent des offres particulièrement onéreuses pour les nuitées en chambre et tout autre service « de confort » à l’hôpital.
L’hôpital privé va également tenter de mutualiser ses moyens pour rendre plus efficaces ses ressources : en combinant les services des ressources humaines de plusieurs établissements d’un même groupe, ou en tentant de numériser les actes administratifs de l’hôpital.
Malgré ces différents leviers, le PLFSS 2024 ayant augmenté les tarifs pour le secteur public de 4,3%, comparé à 0,3% pour le secteur privé, a été perçu comme une inégalité de traitement par les établissements à but lucratif, dont les recettes reposent à 90 % sur les financements publics.
Les déserts médicaux, un « manque à gagner »
Lorsque l’offre correspond à la demande, comment s’assurer de la couverture totale d’un territoire ? En d’autres termes, comment éviter que les territoires disposant de moins de patients potentiels, comme les régions moins habitées, se transforme en désert médical ? L’Agence Régionale de Santé (ARS) est chargée de réguler l’offre de soin sur un territoire, et c’est elle qui octroie les autorisations de soins et de création d’établissement aux hôpitaux privés. Mais si l’offre n’est pas là ?
Certains groupes privés, comme Ramsay Santé, ont pris la mesure du besoin et investi le manque a gagné des déserts médicaux. Le groupe a ouvert des centres de médecine de proximité avec deux objectifs : appliquer une tarification à la capitation (c’est-à-dire à la « tête du client », en fonction de l’âge, de la comorbidité et de la vulnérabilité générale d’un patient), plutôt qu’à l’activité, et réorienter les patients à prise en charge longue et complexe (plus onéreux et moins rentables), vers l’hôpital public.
Si cette nouvelle présence dans les territoires isolés se veut positive et l’est sous de nombreux aspects (prise en charge de proximité, allégement du nombre de patients non-urgents se rendant directement à l’hôpital), les méthodes de sélections des patients portent un risque non seulement sur la prise en charge des cas grave, mais également sur le poids financier qu’il fait porter à l’hôpital public.
Les déserts médicaux de Margot Soulat
Les autorisations d’exercer : le cercle vicieux ?
L’un des facteurs encourageant ces méthodes semble être le déséquilibre d’autorisations délivrées par les ARS dans le privé, en comparaison de l’hôpital public qui dispose déjà des droits nécessaires pour traiter tout type de pathologie et réaliser toute pratique médicale.
Pour pouvoir pratiquer la médecine, les structures de droit privé doivent attestée de leur capacité à le faire, en termes d’équipement et de ressources humaines notamment. Si les conditions sont remplies, l’ARS leur donne des autorisations par domaine (chirurgie, obstétrique, gériatrie, etc.).
Toutefois, cette procédure interroge sur les intérêts de certaines structures à s’équiper pour obtenir l’ensemble des autorisations si le domaine concerné est moins rentable qu’un autre. Par exemple, les cliniques ont davantage intérêt à se spécialiser dans la chirurgie de la main – rémunératrice car complexe et peu coûteuse car les patients peuvent être pris en charge en ambulatoire et ne pas avoir à passer plusieurs nuits à l’hôpital.
Ces cliniques n’auront donc pas l’autorisation pour d’autres pratiques médicales parce qu’elles ne s’équipent pas pour, et ce, pour pouvoir laisser à l’hôpital public – sans avoir à le dire – le traitement de pathologies longues, nécessitant des lits et du personnel soignant supplémentaires.
Un article de Charlotte Culine