Ce jeudi chez L’À-Propos, après quelques semaines de suivi du politique, nous revenons aux essentiels de la raison d’être de notre journal : le suivi de la politique publique. Après le tumulte, quoi de mieux que de se replonger dans les priorités des Français et Françaises ? On commence par la première : le pouvoir d’achat.
L’État aux épreuves de tir olympique budgétaire
Qui dit pouvoir d’achat en politique publique, pense “aide” ou “imposition”. Souvent considérées comme les deux faces d’une même pièce, ces deux outils doivent néanmoins être bien calibrés et viser juste pour ne pas louper leurs cibles et approfondir encore le déficit de l’État. C’est la Cour des comptes qui le dit.
Augmenter son pouvoir d’achat : une priorité citoyenne
Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, l’augmentation des impôts est inévitable pour éviter une situation de crise financière. Pourtant, l’inquiétude grandissante de la population concernant l’inflation ne fait qu’augmenter dans les derniers sondages, et semble fermer le débat sur une potentielle augmentation de l’imposition.
Pourtant, les témoignages recueillis lors de notre (totalement pas représentatif) micro-trottoir, à lire à la suite du présent article, semblent appeler à davantage d’équité dans la redistribution des richesses et répartition des aides. Face aux impératifs budgétaires, face aux inégalités sociales, certains de nos compatriotes paraissent prêts à être plus imposés pour une meilleure qualité de vie générale.
Éviter une crise de la dette : une priorité d’État
Dans le système dans lequel nous vivons, l’aggravation continue de la dette aurait des conséquences graves sur notre économie : plus la France s’endette, plus son niveau de confiance de remboursement sur les marchés diminue (le “triple AAA” devenu AA), plus les intérêts de ses remboursements augmentent pour compenser le risque d’insolvabilité du pays. C’est ce qu’on appelle un effet boule de neige : moins l’État a d’argent, plus il doit en rembourser.
Si notre note passait de AA à A (ou moins) lorsque quatre agences de notation réévalueront la France au dernier trimestre de 2024, les intérêts que l’État doit payer augmenteront mécaniquement. Le risque ultime étant d’atteindre l’état de “crise de la dette”, similaire à ce qu’à vécu la Grèce en 2008 : lorsque les créanciers refusent de prêter plus d’argent à un État. Qu’est ce que cela signifie, concrètement ?
Prenons l’exemple de l’année 2023 où le déficit de l’État a atteint 150 milliards d’euros : si l’État n’avait pas trouvé preneur à ses obligations (c’est à dire emprunter), c’est l’équivalent des budgets combinés du ministère de l’Education et de celui des Armées qui n’aurait pas pu être honoré. S’endetter trop, dans le système financier actuel, signifie donc prendre le risque pour un État de mettre ses services publics à l’arrêt.
Comment concilier les deux priorités ? En apprenant à viser
Ou dans les mots du président de la Cour des Comptes : “prendre pour crible la qualité de la dépense publique”, c’est-à-dire valoriser la qualité d’une dépense plutôt que sa quantité, en optimisant son retour sur investissement en termes d’efficacité et de rendement. Par exemple, si l’État décide d’augmenter son aide aux entreprises en difficulté, il doit bien calibrer cette aide pour :
1. que l’aide remplisse son objectif, soit aider les entreprises en difficulté ;
2. que la dépense liée à l’aide soit limitée au besoin, soit n’aider que les entreprises en difficulté et non toutes les entreprises ;
3. que cette aide aboutisse à un retour d’investissement par l’impôt, soit que les entreprises aidées puissent se redresser, faire des bénéfices et recommencer à payer un impôt à l’État.
Pour les politiques sociales, la mécanique est la même. S’enquérir de la qualité d’une dépense avant même d’essayer de lutter contre la fraude permet de limiter la dépense à la base, sans avoir à dépenser encore plus pour essayer de récupérer ce qui n’était pas dû. L’exemple des aides de lutte contre l’inflation en témoigne Selon la Cour des Comptes, l’État doit en priorité apprendre à viser juste et à mesurer l’impact de ses aides sur son objectif.
Et l’imposition, dans tout ça ?
Le fonctionnement des fameuses tranches d’imposition : chaque tranche de revenu est concernée par un taux d’imposition, et ce, indépendamment du revenu d’une personne. Sur un salaire 25 000 euros par an ou de 90 000 euros, les mêmes taux s’applique par tranche. C’est-à-dire que la première tranche des 10 000 premiers euros ne sera pas imposée, la seconde tranche des 10 000 suivants sera imposée au même taux, les 10 000 suivants à un autre, et le tout additionné pour arriver au total du taux d’imposition. Plus le salaire est élevé, plus un nombre élevé de tranches s’applique, avec des taux progressifs.
Si l’on suit la logique de la Cour des Comptes de cribler la qualité de la dépense – soit, dans le cas de l’imposition, des réduction d’impôts qui constituent une dépense de l’État – de nouveaux critères devraient-ils être intégrés au calcul de l’impôt ? Les dépenses “essentielles” moyennes d’un foyer, par exemple ? Le reste à vivre d’un foyer, plutôt que son quotient familial ? Le lieu de vie ? Etc.
Plus encore, l’on apprend que certains secteurs seraient plus rentables pour l’État à aider, comme c’est le cas de la Culture. Un coup de pouce de l’État dans le secteur de la Culture représente de fait, non pas une dépense de faible qualité, mais un retour sur investissement. Comment le gouvernement prendra en compte ces différences de qualité dans son prochain projet de loi de finances (PLF), prévu pour le 1er octobre 2024 ?
Pour préserver le pouvoir d’achat, le prisme de la lutte contre l’inflation
Toutes les questions liées au pouvoir d’achat des ménages, tout aussi bien que les méthodes de lutte contre l’inflation, relèvent de choix politiques. Si la politique monétaire ne relève pas de l’État mais des Banques centrales, d’autres leviers sont mobilisables.
L’augmentation du SMIC présente-t-elle le risque du cercle vicieux de la hausse des salaires-inflation ? Doit-on annexer les salaires sur l’inflation et la déflation ? Cet ajout pourrait-il présenter un levier de négociation à l’Assemblée ? Et si l’on plafonnait les prix comme les kebabs en Allemagne ? Ces plafonnements seraient-ils soutenables pour les entreprises ? Encore une fois, serait-ce une question de ciblage ?
Concernant l’inflation des prix des matières premières, l’État a-t-il un rôle à jouer avec ses homologues étrangers ? Peut-il mieux soigner sa diplomatie en ce sens, comme conserver de bons rapports avec ses fournisseurs d’énergie ? (Sahara occidental : la France doit-elle craindre un arrêt des exportations de gaz algérien ? (lefigaro.fr))
Le pouvoir et l’impuissance d’achat
Le pouvoir d’achat est un sujet prioritaire pour beaucoup. À Saint-Denis, et dans le quartier du Marais à Paris, Catia, Armen, Samia, Jérôme, Frédérique et Éric nous ont partagé leur ressenti sur le sujet et sur les difficultés financières qu’ils rencontrent.
À Saint-Denis, Catia profite du beau temps sur un banc du jardin Fatima Bedar.
Le pouvoir d’achat c’est le nerf de la guerre. Il faut un minimum pour payer ses factures, garder sa dignité, être tranquille
Mère célibataire, Catia perçoit 500 euros par mois. L’habitante de Villeneuve-la-Garenne loue son appartement au même prix, et avoue ne pas s’en sortir avec sa fille de 13 ans : « je reçois des agressions perpétuelles de bailleurs, des factures d’électricité… » décrit-elle. Tout en affirmant que « les gens qui ont de l’argent sont valorisés dans cette société. Comme aux Jeux Olympiques, ceux qui n’ont pas les moyens ne peuvent pas y assister ».
Armen est un habitant de Saint-Denis, il est contraint de déménager car il n’arrive plus à s’en sortir financièrement : « Cela fait sept ans que je suis là, le loyer était de 700€ mais cela fait deux ans qu’il est passé à 940€. Et ce, dans tout le quartier ». Il était pourtant le premier locataire de son deux pièces.
Devant la gare, nous avons croisé Jérôme, un antillais approchant la cinquantaine. Le père de trois enfants n’a « pas assez d’argent pour en profiter ». Il ne paie pas d’impôts. « Je gère malgré tout, aux Antilles c’est bien plus cher qu’en banlieue parisienne, même si je n’ai pas pu prendre de logement, je suis hébergé chez un ami », raconte-t-il.
Dans le Marais, entre la rue des Archives et la rue du Temple… Samia se balade.
L’habitante d’Épinay-sur-Seine nous raconte que « le pouvoir d’achat est très important, bien sûr. Il faut réussir à trouver un équilibre mais cela fait un moment que je n’arrive plus à m’en sortir, je ne me permets plus de mettre de côté et de profiter ». La jeune femme n’a jamais reçu d’aide et pense que « l’État devrait prendre moins aux personnes en difficulté financière ». Elle nous a expliqué qu’un de ses couples d’amis résidant en Bourgogne ont été contraints de quitter leur HLM, en raison de leurs salaires : à eux deux ils dépassent 4000 euros. De devoir déménager après 18 ans d’habitat, Samia trouve que « c’est injuste ».
Frédérique est une habitante du quartier. La sexagénaire n’a pas de problème financier mais elle aimerait que « les gens démunis gagnent plus, cela ne me dérange pas de payer plus d’impôts : il faut bien des routes et des hôpitaux pour tout le monde ». Elle est lassée d’entendre le terme “pouvoir d’achat” :
Ca m‘énerve, on dirait qu’on est que des consommateurs. On crée du besoin en France, par exemple des pâtes on va dire que c’est pour quelqu’un qui n’a pas de sous pourtant les Italiens, ils en mangent tous les jours des pâtes, eux !
Éric est responsable de la sécurité incendie dans deux bâtiments du groupe Accor. Il profite de sa pause pour répondre à nos questions, rue des Archives. Pour lui, ce n’est pas une priorité « car j’ai ce qu’il me faut. Payer plus ? Cela ne me dérange pas si c’est correctement partagé mais ce n’est pas le cas car les politiques dépensent dans n’importe quoi, ils feraient mieux d’écouter le peuple. Je ne suis d’aucun parti, ils font tous la même chose : Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ».
Un micro-trottoir de Théophile Joos