Ce mardi 29 octobre devait se tenir le vote solennel sur la première partie du projet de loi de programmation de finances (PLF) 2025 à l’Assemblée nationale. Faute de 9 jours de retard du Gouvernement dans le dépôt du texte et d’un nombre trop important d’amendements déposés par les députés, son examen à l’hémicycle n’est pas encore terminé, repoussant la date du vote au mardi 5 novembre 2024.
Le PLF a, depuis la fin de l’été, déchaîné les passions politiques dans l’ensemble des médias d’information. Un élément de plus pour disqualifier la temporalité de la dissolution de juin 2024 : sans Gouvernement, comment formuler un budget cohérent, sincère et pertinent face à l’état des finances publiques et des rapports sociaux en France ?
Beaucoup ont ainsi, semble-t-il, découvert le caractère hautement politique du PLF… à l’aune de ses deux décennies de présentation annuelle. Particulièrement technique, ce texte porte pourtant les grandes lignes d’un Gouvernement, et pas seulement pour les comptables.
Le PLF, un texte politique par essence
Dans les faits, le PLF est un texte politique peu importe le contexte dans lequel il est présenté. En l’espèce, c’est l’unique texte qui confère à l’ensemble des administrations publiques, centrales, locales et de la sécurité sociale, leurs moyens d’action pour l’année suivante (le PLF fixe le budget de l’année suivante).
Ce texte acte donc les priorités d’un Gouvernement, non seulement sur l’année qui suit, mais également à plus long terme. En actionnant des plans et en abondant des politiques pluriannuels, l’État investit son effort sur des sujets précis, dont le besoin en financement est constant, voire grandissant selon les perspectives de développement.
La transition écologique, par exemple, devrait être sujette à une accélération des politiques menées pour l’accomplir, parce qu’elle relève d’engagements internationaux, comme les accords de Paris. Les objectifs chiffrés de réduction des émissions de carbone de ces accords sont encadrés dans le temps, et nécessitent un budget approprié et évolutif, engageant année par année les lignes comptables adaptées à leur conduite.
Cette année, le ministère de l’Économie a publié, 10 jours après la sortie du PLF, une stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE).
Celle-ci doit définir « des orientations afin de renforcer la mobilisation collective pour financer les objectifs climatiques et environnementaux de la France » jusqu’en 2027. Pour autant, si les crédits suffisants ne sont pas actés dès le PLF 2025, difficile de légitimer les chances de succès d’un plan pluriannuel.
Un cadre constitutionnel prévenu
Les modalités de présentation du PLF sont encadrés par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui s’appuie elle-même sur des dispositions de la législation la plus élevée en France selon la hiérarchie des normes : la Constitution.
Cette loi organique prévoit en son article 47 que le budget soit présenté de manière sincère par le Gouvernement. La LOLF prévoit donc initialement qu’un Gouvernement puisse tromper les parlementaires en tordant ses analyses et projections budgétaires.
Aujourd’hui, cette sincérité est directement remise en question par la commission d’enquête parlementaire missionnée par le Bureau de l’Assemblée nationale, sur demande du Président de la commission des finances, visant à investiguer le dérapage budgétaire entre 2023 et 2024.
Le but premier de cette enquête sera de comprendre les écarts de plusieurs milliards d’euros entre les prévisions et les perceptions sur l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu ou encore la TVA. L’objectif constitutionnel de cette commission sera pour sa part de déterminer si les prévisions avancées les années précédentes étaient erronées ou insincères, c’est-à-dire mensongères ou tronquées.
Le PLF est donc profondément politique dans le fond et dans la forme de sa présentation, de sa défense et de son adoption.
Des manœuvres scrutées par une opposition dispersée mais majoritaire
La surmédiatisation du PLF 2025 comparé aux précédents (bien que les 49.3 du Gouvernement Borne en 2023 avaient déjà suscité de nombreuses réactions), survient d’un mélange de nombreux facteurs, dont l’on ne citera que trois.
Le premier, souvent pointé du doigt, est l’absence de majorité pour légitimer à la fois le bilan budgétaire avancé par le camp présidentiel et les propositions pour sortir de la perspective déficitaire des finances publiques.
Le deuxième, nécessairement issu du premier, est le produit de plusieurs utilisations polémiques du 49.3 sous les mandats d’Emmanuel Macron pour faire passer des politiques gouvernementales au détriment du pouvoir législatif.
L’arrivée d’un nouveau Premier ministre controversé approfondit cette attente, notamment si celui-ci devait engager sa responsabilité via un nouveau 49.3, comme autorisé par le Conseil des ministres la semaine dernière.
L’ambition affichée de Matignon de traiter avec l’opposition par le dialogue ne ferait qu’aggraver moralement l’emploi d’une mesure souvent considérée comme anti-parlementariste.
Le Gouvernement pourrait alternativement décider de faire appel à l’article 45 de la LOLF, lui permettant de reporter l’examen de la deuxième partie relative aux dépenses au début de l’année 2025. Cet article permet entre autres au Gouvernement de demander au Parlement de l’autoriser à recevoir l’impôt comme sur l’année passée, afin de continuer à assurer la continuité du service public lorsque la deuxième partie du PLF continue d’être discutée, au-delà de la date butoir du 31 décembre 2024.
Le troisième, enfin, est la faible solidarité, au sein du Gouvernement et entre les parlementaires d’un même bord.
Si le seul ministre du Gouvernement issu de la gauche fait ouvertement de sa potentielle démission un levier de négociation avec son exécutif sans revalorisation du budget dédié à la Justice, d’autres manœuvres se jouent plus discrètement à l’Assemblée.
Alors que le socle gouvernemental (LR non-ciottistes et LREM) doit s’entendre au sein du Gouvernement, cette apparente collaboration cache les pressions exercées par les parlementaires sur leurs groupes.
“Ainsi, il n’est pas anodin de voir qu’une grande partie des amendements déposés au budget (41 % d’entre eux, contre 21 % l’année dernière) provient des troupes censées soutenir l’action de l’exécutif, à savoir LR – EPR – MoDem – Horizons.” souligne le Huffington Post.
Pour le bloc qui devrait s’entendre, sans majorité à l’Assemblée, les parlementaires se transforment en armes de contre-arbitrage.
La dernière couche de l’oignon : l’Europe et la dette
Les évolutions du budget 2025 sont scrutées par la Commission européenne après que Bruxelles a alerté officiellement la France contre le dérapage de son déficit budgétaire. En effet, conformément aux traités européens, le déficit public d’un État de l’Union européenne ne doit pas dépasser 3 % de son produit intérieur brut (PIB). La dette publique, elle, est plafonnée à 60 % du PIB.
Pourquoi 3 % de plafond ? En 1981, alors que le déficit public français menaçait de franchir le seuil symbolique des 100 milliards de francs, soit 2,6 % du PIB, le Gouvernement Mitterrand a proposé le chiffre rond de 3 %, sans penser que le pays serait un jour lui-même capable de le dépasser. Selon le ministère de l’économie, la dette publique s’est établie à 112 % du PIB à la fin du deuxième trimestre 2024. À ce titre, la Commission a ouvert une procédure de déficit excessif (PDE) contre la France.
Cette procédure vise à contraindre les États à revenir sous la barre des 0,5% de PIB de déficit, faute de quoi… Des sanctions financières peuvent être appliquées par l’Union, jusqu’à 0,1 % du PIB chaque année, soit près de 2,5 milliards d’euros pour la France. De quoi s’enfoncer un peu plus dans la dette.
Un article de Charlotte Culine