#crainte #politique #fenetre #extreme

La crainte du futur

Dans le centre-ville de Lille, fief traditionnellement socialiste, nous avons interrogé les passants sur leur ressenti face aux résultats du premier tour des élections législatives. Louis, Camille, Clara, Margaux, Abdel et Eloïse craignent l’arrivée d’un extrême au pouvoir.

Louis et Camille sont âgés de 25 et 26 ans. Les deux conjoints ne s’intéressent qu’à moitié à la politique mais expriment leur inquiétude quant à l’arrivée d’un extrême au pouvoir : « J’ai peur que cela pousse certains à se libérer d’une parole extrémiste » explique Louis. Sa procuration dématérialisée faite en mairie le 26 juin n’a malheureusement pas fonctionné lors du vote. Camille se rendra aux urnes pour le second tour du 7 juillet car « il faut agir maintenant pour ne pas regretter »

Clara et Margaux ont 31 et 30 ans, elles estiment avoir une très bonne connaissance de la politique. Pour elles, l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National (RN) « augmenterait la violence, entraînant un affaiblissement du pays ». Leurs procurations ont été « faciles à faire en seulement dix minutes sur internet » via FranceConnect. 

À 30 ans, Abdel Temjim n’a pas la nationalité française mais estime en connaître assez pour avoir un avis. S’il le pouvait, il s’opposerait également au RN : « Leur politique est contre l’immigration, ce n’est pas bien pour la France ni pour l’Europe »

À l’image de Louis et de Camille, Eloïse admet connaître à moitié la politique. Elle pense que le désistement d’un candidat aux triangulaires « est une très bonne chose si on peut faire barrage au RN », mais avoue ne pas comprendre qui sera Premier ministre en cas de victoire du NFP. Sa procuration a été ralentie par le processus d’inscription à FranceIdentité, un nouveau système censé être plus sécurisé que celui de FranceConnect, mais plus contraignant. Celui-ci nécessite en effet le dernier format de la carte d’identité nationale pour authentifier la connexion, à moins de se rendre en mairie pour s’identifier. 

Un micro-trottoir de Théophile Joos

Illustration de Margot Soulat

Illustration de Margot Soulat


Choisir son “extrême”

Les accusations d’extrémisme fusant de toute part dans les débats d’entre-deux-tours, nous vous proposons un court retour sur la décision du Conseil d’Etat du 11 mars 2024 validant la classification d’extrême droite du parti Rassemblement National.

L’extrême en droit 

En France, comme dans de nombreux pays démocratiques, aucune définition de l’extrême n’existe en droit. C’est parce que cette notion d’« extrême » est relative à un contexte et que le contexte n’est pas nécessairement démocratique, qu’elle peine à être définie.

La qualification d’extrême résulte d’une prise de position objective (juridique) par opposition à ce qui est considéré comme la norme, ou subjective (politique) par opposition à ce qui est considéré comme tolérable en société. 

Des conclusions du Conseil d’Etat le 11 mars 2024, l’on peut retenir que « la constance des prises de positions […] notamment sur l’immigration et la préférence nationale, et aux liens idéologiques et aux relations qui l’unissent avec des mouvements d’extrême droite dans d’autres pays européens et au Parlement européen » suffisent à objectiver la qualification du RN d’extrême.

Cette décision se base sur un facteur de fond : la promotion d’une idéologie allant à l’encontre de la norme, et plus particulièrement celle des droits fondamentaux. 

À la recherche du tolérable

Si le Conseil d’Etat a posé une base objective à la définition de l’extrême, les débats politiques de cette semaine appellent à la subjectivité des électeurs pour qualifier l’extrême. 

Considérant le contexte économique et politique français, les deux autres partis en tête des élections pourraient aussi être qualifiés d’extrême. Le Nouveau Front Populaire (NFP) appelant parfois bruyamment à un nouvel ordre économique et institutionnel, et Ensemble – brouillant la séparation des pouvoirs exécutifs et législatifs, s’opposent tous les deux à une norme établie. Pourtant, considérer l’ensemble du spectre politique comme “extrême” ne consiste qu’à annuler le sens même de cette notion et à sous-estimer les caractéristiques principales constituant l’extrémisme.

Alors, à l’aube du second tour des élections législatives, la question adressée aux électeurs encore incertains semble être la suivante : qu’est-ce que le tolérable ?

De ce choix subjectif et collectif du tolérable adviendra la majorité législative du 7 juillet 2024.

Illustration de Margot Soulat

Illustration de Margot Soulat

Sans définition juridique, comment le Conseil d’Etat s’est-il positionné ? 

Sans définition juridique, le Conseil d’Etat a tout de même validé la décision du Ministère de l’Intérieur de qualifier le RN de parti d’« extrême ». Prise au cours de la même audience, la décision de ne pas classer LFI comme parti d’extrême a concerné l’idéologie menant la globalité de la coalition NUPES (visée par l’affaire, avant que le NFP ne soit créé), et non les paroles isolées de certains représentants sur les moyens de parvenir à un changement politique. 

En Europe, seul le Royaume-Uni défend une définition juridique de l’extrémisme (actualisée en 2024, symptôme du besoin de contextualisation de cette notion). Celle-ci s’appuie sur les trois axes principaux suivants :  

  1. la promotion d’une idéologie basée sur la haine, l’intolérance ou la violence ;
  2. visant à nier ou détruire les droits fondamentaux, 
  3. à renverser ou limiter l’ordre institutionnel du pays. 

Un article de Charlotte Culine

LÀPJOURNAL

GRATUIT
VOIR