Yves Frémion est écrivain, critique de bande dessinée et homme politique français, il est aujourd’hui éditeur à Paris. Nous l’avons rencontré dans son atelier d’écriture, niché dans les montées de la colline de Belleville, dans le 20e arrondissement de Paris.
Élevé par son grand-père jardinier, il acquiert très tôt une certaine sensibilité au monde vivant et devient membre du parti écologique Les Verts suite au projet de construction d’un barrage électrique menaçant la rivière et le hameau situé le long de sa maison dans l’Aveyron. Un an plus tard, il se présente aux élections européennes et devient député pour un mandat, de 1989 à 1994, à plus de 40 ans. Il affirme avoir dû “confronter ses idées à la réalité de la politique”.
Mais Yves Frémion a surtout travaillé au niveau politique sur les questions culturelles. C’est juste avant son mandat que le traité de Maastricht de 1992 confère à l’Europe des compétences en matière culturelle qu’elle n’avait pas encore. C’était un secteur nouveau, intéressant pour l’homme se décrivant comme “un être éclectique, qui s’intéresse à beaucoup de choses”.
Fondateur de la commission culture chez Les Verts en France, il intègre la commission traitant de culture, médias, jeunesse et sports au Parlement. Seul de sa commission à être vraiment issu de la culture il a pu se servir de compétences que les autres n’avaient pas et maîtrisait les spécificités du travail et du statut des artistes, l’ayant été lui-même.
De 1998 à 2010, il est élu conseiller régional en Île-de-France pour deux mandats. Candidat malheureux à la primaire des Verts pour les élections présidentielles de 2002, il obtient 8,20% des voix au premier tour.
Homme politique mais également homme de lettres, ancien pilier du magazine humoristique Fluide Glacial, ancien vice-président du Réseau Voltaire, il nous décrit comment il a pu jongler toute sa vie entre la satire et le sérieux : “dans la création artistique vous êtes un dictateur absolu sur votre œuvre. La politique, c’est exactement le contraire, vous devez travailler avec des gens que vous ne pouvez pas saquer ”.
ENTRETIEN
En quoi la stratégie lobbyiste influence-t-elle les décisions prises au Parlement mais aussi au Conseil régional ?
Dans une vraie démocratie, il y a des pressions de l’extérieur. Dans tous les domaines, il est normal que des citoyens s’organisent pour essayer d’éclairer les décideurs, c’est-à-dire les élus. On emploie souvent le mot lobby pour désigner ça. C’est un mot imprécis, en France on l’utilise toujours pour parler de choses néfastes mais Amnesty international ou Greenpeace sont des lobbys. Ils représentent des groupes de citoyens qui cherchent à éclairer en rencontrant les députés, les sénateurs… et c’est normal en démocratie. On a besoin que les gens s’organisent pour essayer de faire pression et que les décisions prises aillent dans le bon sens.
Ça peut être un groupe de défense de choses qui peuvent paraître tout à fait bienveillantes c’est à dire des gens qui ne cherchent pas d’intérêt financier ou à renforcer les pouvoirs qui existent. Ça peut être des gens qui défendent l’agriculture bio ou les prisons… et chacun écoute ce qu’il veut.
Pensez-vous que ces pressions extérieures puissent-être constructives ?
Pleins de gens ont plein d’idées mais elles ne remontent pas jusqu’aux décideurs. En tout cas je crois que le grand absent de la politique, c’est la volonté politique. Si vous cherchez vous allez trouver, mais pas tout seul car vous n’êtes pas un génie donc il faut le faire avec les personnes concernées, il faut trouver avec les gens.
Quand on discute avec les professionnels d’un secteur, ils vont vous parler de leurs demandes spécifiques. Si vous prenez des mesures pour les libraires, alors les bibliothécaires ne sont pas contents… Mais si vous les mettez ensemble, les questions s’éclaircissent. Il faut avoir leurs points de vue avant de décider. Quand on arrive à des propositions qui sont communes à tout un secteur, c’est la co-élaboration. Élaborer une politique avec les gens concernés parce qu’on a forcément plus de finesse sur leur profession.
Selon vous, où se place la limite entre les pressions légales et moralement acceptables, comme le lobbyisme citoyen ou privé, et les pratiques abusives ?
Là où ça devient dangereux c’est quand ces lobbys arrivent à s’infiltrer dans les réunions décisionnelles. On le voit dans les questions d’énergie, de santé, dans tous les secteurs importants financièrement.
Des partis et des syndicats sont aussi directement financés. Ce n’est même plus du lobbying c’est de la captation. Lors de mon arrivée au Parlement par exemple, j’ai démissionné de toutes les présidences que j’avais de mon syndicat, des associations… J’ai démissionné de tout pour ne pas être en conflit d’intérêt. D’autres députés représentaient les intérêts de leur secteur au sein même du Parlement.
En France, Robert Hersant détenait à l’époque une grande partie de l’espace médiatique, et quand il s’est fait élire il ne venait que quand on parlait de médias. Le parti Rassemblement pour la République (RPR) envoyait au Parlement tous les anciens dirigeants de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA), qui ne venaient que pour les questions agricoles.
Vous auriez des exemples de ce type de dérive ?
Il y a toujours eu des gens achetés et pas forcément par une valise de billets. Cela pouvait être de l’immobilier, par des avantages, grâce au lobby auto, vous aviez une belle bagnole en cadeau. Je recevais des bouquins… ça ne valait pas grand chose mais le système du cadeau est quasiment institutionnel dans tous les domaines. La corruption règne.
À l’époque, les écolos n’intéressaient pas beaucoup les lobbys parce qu’au Parlement on était le quatrième groupe. Ils s’intéressaient plus aux sociaux-démocrates et au groupe chrétien démocrate. Quand il venait voir les écolos c’était pour essayer de les embobiner ou les menacer.
Tout le monde rêve ou d’être corrompu pour se faire des tunes, ou corrupteur pour obtenir ce qu’il veut. Et un des signaux : dès qu’il y a quelqu’un qui est accusé, traîné devant un tribunal pour corruption, tant qu’il n’est pas condamné il sera toujours réélu, parce qu’avec eux on peut s’arranger. Avec un austère qui est dans la rigueur, on ne peut pas, il n’écoutera pas si on veut tricher. Parce que je vous le dis, on perd souvent à jouer sans tricher.
Propos recueillis par Margaux Basch
Photographie : Louis Witter