Le nombre d’agriculteurs présents à l’Assemblée nationale est passé de 72 en 1958 à 12 dans l’actuelle Législature. En proportion, cela représente une chute de la part des agriculteurs parmi l’ensemble des députés de 12 % en 1958 à moins de 3% depuis 2007. Cette baisse est-elle un facteur explicatif de la crise agricole ?
La principale cause est la moindre représentation des agriculteurs dans la population active.
En 1955, la population agricole atteignait 6,2 millions de personnes, soit 30 % de l’emploi total. Cette structuration s’est délitée pour arriver à 400 000 personnes en 2019, soit seulement 1,5% de l’emploi total. Paradoxalement, la part des agriculteurs présents à l’Assemblée est aujourd’hui supérieure à leur poids réel dans la structure de l’emploi en France.
Il faut aussi prendre en compte l’importance des réélections des mêmes agriculteurs à la députation. 170 agriculteurs ont été élus députés depuis 1958. C’est peu si on compare avec les régimes précédents : 402 agriculteurs ont été élus députés sous la IIIe République et 167 sous la IVe, alors même que ce régime n’avait duré que 12 ans.
L’affaiblissement de cette présence s’explique également par la restructuration électorale du monde agricole.
La droite et le centre ont toujours représenté une large majorité des députés agriculteurs. A partir de 1981, l’arrivée de la gauche se fait en passant sous la barre des 5% « d’agriculteur-députés ».
Le sursaut de 1993 s’explique par la seconde cohabitation qui porte à nouveau la droite au Gouvernement et double temporairement le nombre d’agriculteurs au Palais Bourbon. Aujourd’hui, un seul des 12 députés agriculteurs est socialiste, pour 6 du camp présidentiel, 3 des Républicains et 2 du Rassemblement national.
Cette observation s’applique également à la représentation syndicale. Alors que depuis la Libération, la FNSEA et les JA étaient majoritaires, l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand coïncide avec l’apparition d’organisations concurrentes.
La participation aux élections a aussi fluctué en raison d’un basculement des électeurs « exploitants » vers celui des retraités.
En regardant ces chiffres, il faut également prendre en compte l’hétérogénéité du monde agricole. Au début de la Ve République, toutes les agricultures étaient présentes dans l’hémicycle. En revanche, les 12 députés actuels ne suffisent plus à rendre compte de la diversité du monde agricole au niveau du lieu d’exercice, de la taille de l’exploitation ou du type de production.
Cette évolution doit être mise en parallèle avec l’histoire des politiques agricoles.
La politique de remembrement menée à partir des années 1950 a facilité le regroupement des parcelles. Couplée avec la mécanisation et l’usage croissant des produits phytosanitaires, les Trente Glorieuses ont été marquées par une hausse de la productivité du secteur mais la baisse de ce dernier dans l’emploi total et le PIB.
De plus, la politique agricole commune – la fameuse PAC – a entraîné un partage de la compétence en matière agricole entre l’échelon national et européen à partir de 1962. Le récent débat autour des accords commerciaux ou des normes a d’ailleurs montré comment le Gouvernement français désignait l’Union européenne comme responsable de la crise.
Cette représentation agricole à l’Assemblée et au sein des partis interroge sur la capacité de notre démocratie parlementaire à établir un lien entre le terrain et les enjeux globaux au moment où l’agriculture française affronte la concurrence internationale, prépare le renouvellement des générations et s’adapte à la transition écologique.
Article rédigé par Eugène René