Qu’il s’agisse du Qatar, du Maroc, de la Russie ou de la Chine, les soupçons d’ingérence étrangère au Parlement européen se multiplient. L’enjeu semble de taille à en juger par les valises de cash retrouvées au domicile d’élus européens dans l’affaire du Qatargate. Qu’en est-il vraiment ? L’À-Propos revient sur les motivations qui incitent ces Etats à acheter les faveurs d’eurodéputés peu scrupuleux.
1,5 millions d’euros saisis aux domiciles d’anciens et actuels parlementaires européens… De tels montants interrogent sur les raisons des efforts colossaux déployés pour influer le cours des processus décisionnels bruxellois.
Étouffer les critiques et redorer son blason à l’international
Les Etats ingérents sont avant tout animés par une volonté de contrôler leur image sur la scène internationale. Pour le Qatar, il s’agissait en 2021 d’endiguer les critiques concernant la situation des droits de l’homme dans le pays. « Le Qatar avait alors entrepris une vaste opération de blanchiment de réputation au niveau mondial. » déclare Daniel Freund, eurodéputé vert allemand.
Le Qatargate a également révélé les pratiques abusives du Maroc en matière de relations publiques. D’après le mandat d’arrêt émis par la police belge, il aurait tenté d’infiltrer la Commission parlementaire spéciale enquêtant sur l’utilisation du logiciel espion Pegasus par certains Etats dont le Maroc.
Un autre enjeu de taille pour le pays est de faire valoir au sein du Parlement sa position sur la question du Sahara occidental, cette langue de terre située au sud de son territoire revendiquée à la fois par le Maroc et le Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui soutenu par l’Algérie.
Selon une source interne au Parlement, Bruxelles est devenu un terrain de jeu privilégié pour des guerres de proxy entre Etats tiers : le Maroc contre l’Algérie, le Qatar contre les Emirats arabes unis. Ces luttes d’influence se mènent par groupes d’amitié interposés, via des questions parlementaires écrites à charge contre le pays adverse ou des interventions critiques lors d’auditions publiques.
Les intérêts économiques, moteur de l’influence étrangère
Autre ligne de mire : les accords commerciaux. Le Qatar aurait ainsi tenté d’influencer les négociations relatives à la libéralisation des visas Schengen pour les ressortissants qataris. La manœuvre aurait pu fonctionner si la procédure n’avait pas été gelée depuis les révélations.
Pour le Maroc, l’enjeu concerne des accords de libre-échange sur la pêche et l’agriculture avec Bruxelles incluant le Sahara occidental. Depuis près de dix ans, ceux-ci sont systématiquement retoqués par la Cour de justice de l’UE pour non-respect du consentement du peuple sahraoui.
Sur ces questions, « le Parlement européen est devenu une cible de premier plan pour les acteurs étrangers car il joue un rôle grandissant sur la scène politique en matière de libre échange et de normes environnementales, sociales et sanitaires. » explique Daniel Freund.
Méconnaissance des mécanismes européens
On peut s’étonner que des pays tiers déploient autant d’efforts et d’argent pour influer sur les décisions d’une institution qui ne dispose que de compétences très limitées en matière de politique extérieure. Certes mais « elle dispose de soft power », argumente Nick Aiossa, Directeur de la branche européenne de l’ONG anti-corruption Transparency International. Autrement dit, son opinion compte même lorsqu’elle s’exprime par le vote de textes non contraignants, comme c’est le cas des résolutions.
Une source interne au Parlement relativise l’efficacité des pratiques d’ingérence étrangère. Il dénonce des enjeux surjoués et des services surfacturés par les agents à la manœuvre en interne – députés, assistants, lobbyistes et autres consultants en affaires publiques. « En se focalisant sur les problèmes d’ingérence étrangère, on omet un élément essentiel de la menace pour nos démocraties. C’est que celle-ci vient d’abord de l’intérieur. » conclut Nick Aiossa. Et d’ajouter « Les réponses apportées par l’institution font totalement l’impasse là-dessus. »