Entretien croisé d’Olivier Legrand et de Philippe Leseure

Dans l’Yonne, en dessous d’Auxerre, Olivier Legrand est producteur de lait à Villeneuve les Genêts. « Une région humide, surtout en ce moment qu’il n’arrête pas de pleuvoir » nous précise Olivier, qui ne peut pas encore faire pâturer ses vaches faute de terre sèche et praticable pour les animaux.

Olivier trois enfants, mais aucun ne souhaite reprendre son exploitation, comme lui à la suite de ses parents en 1998.

Olivier a aussi été vice-président de l’APLBC (Association de producteurs de lait du Bassin Centre) pendant cinq ans, et gère les relations avec le groupe LSDH, la Laiterie Saint Denis de l’Hôtel, très investie pour la juste rémunération de ses producteurs partenaires. Il a trois enfants, mais aucun ne souhaite reprendre son exploitation, comme lui à la suite de ses parents en 1998.

Associé avec son épouse Flavie, ils gèrent aux côtés de leurs deux salariés une ferme de 100 vaches laitières auxquelles s’ajoutent 20 génisses. À eux quatre, ils produisent 1 200 000 litres de lait à l’année.

Au-delà de la ferme, leur exploitation s’étend sur 230 hectares de terre pour le pâturage et 120 hectares de cultures de céréales :  blé, orge et colza, destinés à la vente et à l’alimentation du troupeau.

Cette diversification lui permet de rester autonome face aux fluctuations des marchés internationaux, comme Philippe, qui transforme aussi dans sa laiterie des jus végétaux (amande, avoine, etc.).

Philipe Leseure est pour sa part directeur des filières pour le groupe LSDH, la laiterie qui s’est concentrée sur une juste rémunération des producteurs avec lesquelles elle travaille. “Homme de lait” comme Philippe se qualifie lui-même, il reprend en 2005 la direction du site de LSDH basé à Varennes sur Fouzon – où le lait est stérilisé et mis en bouteille, après avoir dirigé une coopérative laitière en Rhône Alpes pendant dix ans.

“Homme de lait” comme Philippe se qualifie lui-même, il reprend en 2005 la direction du site de LSDH basé à Varennes sur Foulon.

Chez LSDH, c’est lui qui a en partie porté le développement des contrats tripartites entre les producteurs, la laiterie et les distributeurs pour assurer une meilleure rémunération aux agriculteurs. Plus tard, c’est également lui qui a mis en place un partenariat avec C’est qui le patron ? ou CQLP, une démarche de consommateurs qui implique le grand public dans les négociations commerciales, les coûts à la vente et le développement des produits en lien direct avec les producteurs.

Ils travaillent ensemble depuis presque dix ans dans un modèle permettant la juste rémunération des producteurs de lait.

Olivier Legrand : Depuis 2015, et ça, grâce à LSDH, on est en relation directe avec la grande distribution. On y est allé à petits pas, en ayant un peu peur des enseignes. On s’est dit c’est la « guerre des prix », mais il y a quand même beaucoup d’enseigne qui veulent garder du lait français et qui ne veulent pas avoir des rayons vides. Ils sont conscients qu’il faut qu’on gagne notre vie si on veut le renouvellement des générations. Parce qu’on le voit bien, on perd des producteurs tous les ans.

Philippe Leseure : Notre entreprise a des valeurs. C’est « Passion, Ambition, Humanité »… Le créneau de l’entreprise c’est de travailler sur du long terme. La survie de notre planète, évidemment, c’est important pour nous. Pour que quelque chose soit durable il faut que ce soit équitable.

En région Centre Val-de-Loire, on a décidé que tous les producteurs qui livraient à des entreprises privées allaient se regrouper, s’ils le voulaient bien sûr, pour négocier avec plusieurs laiteries. On a renversé le schéma de négociation alors que de grosses laiteries ont souvent plusieurs organisations de producteurs qui parfois se battent entre elle plutôt que de négocier au profit de leurs producteurs.

O. L. : Il y a eu une volonté de LSDH de faire des contrats tripartites [engageant trois parties, ndlr]. Philipe a proposé à leurs clients : trois enseignes ont accepté dès 2015. Là, on a pu commencer, nous, producteurs, à aller autour de la table et à exposer nos coûts de production, basés sur des indicateurs fiables.

‘‘Au démarrage on n’est pas arrivés en disant « est ce que vous êtes capables de payer mieux les producteurs ? ». Si on avait amené le dossier comme ça, ça aurait été compliqué.’’  

P. L. : On n’est pas arrivés en disant « est ce que vous êtes capables de payer mieux les producteurs ? ». Sinon, ça aurait été compliqué. Augmenter le prix du lait au producteur c’est augmenter le prix de la brique en rayon, et le distributeur se base contre son concurrent pour être le moins cher. On a donc proposé à plusieurs enseignes de travailler sur trois ans où on régulait le prix du lait. Pour le distributeur ça ne changeait rien mais pour le producteur ça changeait tout, car il vaut mieux être payé 30 centimes le litre tout le temps que 40 puis 20. Après il a fallu convaincre les producteurs parce qu’évidemment quand ils sont payés 20 c’est pas mal, mais quand ils sont payés 40 c’est moins bien.

‘‘Après c’est un choix d’enseigne de dire : « est-ce que j’étrangle le producteur ou est-ce que c’est important pour moi ? ». Ça peut être important dans le cadre de leur RSE et de leur stratégie long terme.’’

P. L. : On a la chance d’avoir des actionnaires qui travaillent dans l’entreprise, on n’a pas d’actionnaires qui nous disent il faut cracher 15% à la fin de l’année. La stratégie est différente d’un groupe coté en bourse. Après c’est un choix d’enseigne de dire : « est-ce que j’étrangle le producteur ou est-ce que c’est important pour moi ? ». Ça peut être important dans le cadre de leur stratégie long terme.

O. L : La rémunération sur le lait CQLP est partie de la création d’un questionnaire auprès des producteurs en 2016. Avec la forte inflation qu’on a eu en 2022 et nos coûts de production qui ont explosé, la rémunération a évolué à 45 puis 54 centimes du litre pour une brique vendue à 1,09 € en magasin.

Aujourd’hui on sent qu’on est entendus, et, franchement, ça nous redonne de la considération dans notre métier.

O. L. : On a fait un plan de compétitivité et exploitation des consommateurs agricoles (PCAE). C’est un plan d’investissement : quand l’Europe met 1 €, la région met 1 €, l’Etat met 1 €. Tu déposes un dossier à la région et ce dossier est validé ou pas. Quand je me suis installé on a fait deux PCAE. Sur 250 000 € d’investissement on a eu 70 000 € d’aide et sur le deuxième 150 000 € d’investissement pour 25 000 € d’aides. On a aussi pu dégager un revenu parce qu’on était capable de faire du volume supplémentaire grâce à LSDH.

P. L : En 2023 France Relance a permis une aide de 800 000 €, ce qui est relativement modeste par rapport à notre investissement de 300 millions. On a mené notre bout de chemin seul. Il a d’ailleurs fallu qu’on fasse attention à ne pas être anti-concurrentiels, l’Europe ne nous permettait pas d’aller au détriment des consommateurs. Ça aurait été plus simple si nous étions moins chers ! Mais la France a poussé pour dire que l’esprit de ces accords était fondamental pour garder nos producteurs.

O. L. : À la fin des quotas en 2015, face aux industriels, on n’avait pas de force. L’Etat a obligé les industriels à passer par des organisations de producteurs pour négocier le prix et les volumes. Le souci c’est qu’il y a des grosses coopératives où les producteurs sont un peu entre la défense des producteurs et de leurs outils de productions, parce qu’ils sont en charge des deux.

P. L : Alors la loi EGAlim.. Ce serait prétentieux de dire que c’est notre modèle qui l’a poussé mais on est intervenus. Pour les accords tripartites et la répartition de la valeur transparente, notre modèle de paiement du lait est vraiment basé sur EGAlim 2. Maintenant on est dans EGAlim 3, bientôt 4…

O.L : Ce qu’on aimerait c’est une politique de beaucoup plus long terme. On n’arrête pas de parler de réchauffement climatique. On a notre part à prendre, nous, les producteurs, pour répondre aux attentes des consommateurs. Mais derrière ça a un coût.

LÀPJOURNAL

GRATUIT
VOIR