Après le scandale du Qatargate, l’Union européenne s’est dotée d’un certain nombre de mesures pour lutter contre la corruption. Un premier pas mais qui ne va pas assez loin selon plusieurs associations et chercheurs.
Des centaines de milliers d’euros en billets retrouvés aux domiciles de députés européens ; une valise d’argent liquide évacuée à la demande d’une des vice-présidentes du Parlement européen ; un État, le Qatar, à la manœuvre pour influencer les lois européennes… Presque caricaturaux, tout droit sortis d’un vieux polar, ces faits sont pourtant bien réels et ont été révélés le 9 décembre 2022, lorsque l’affaire du Qatargate éclate. A l’époque, la presse européenne parle de « séisme » et la présidente du Parlement, Roberta Metsola, prononce un discours martial : « Le Parlement européen est attaqué. La démocratie européenne est attaquée. » Une série de mesures fortes sont ensuite annoncées.
Au cœur de l’affaire se trouvent l’ancien eurodéputé Pier-Antonio Panzerri et Eva Kaïlí, eurodéputée et à l’époque l’une des vice-présidentes du Parlement, accusés d’avoir voulu saboter une résolution du Parlement européen sur la situation des droits de l’homme au Qatar, à quelques semaines de la Coupe du monde 2022. Après avoir échoué à l’enterrer, les deux parlementaires vont tenter d’en modifier le contenu pour en édulcorer la teneur. Eva Kaïlí se défendra devant le Parlement d’avoir été « la seule à dire que le Qatar est un leader en matière de droit du travail. […] Malgré tout, certains ici appellent à les discriminer. Ils les intimident et accusent tous ceux qui s’engagent avec eux de corruption ». Des propos qui ressembleraient presque à des aveux. La résolution sera finalement votée le 24 novembre 2022, quelques jours avant l’éclatement de l’affaire de corruption.
Une réponse avortée
Après l’attaque, la riposte. Quatre jours après ces révélations, le Parlement européen a déchu Eva Kaïlí de ses fonctions de vice présidente. Les lobbyistes originaires du Qatar ont vu leurs accès au Parlement suspendus. Plusieurs règles ont également été adoptées, suivant le plan de Roberta Metsola : les élus ont interdiction d’exercer une activité de lobbying au sortir de leur mandat pendant une période de six mois, les déclarations de conflits d’intérêts doivent désormais être plus détaillées et les eurodéputées doivent déclarer leur patrimoine en début et fin de mandat… Mais tout cela ne va pas assez loin, selon de nombreux observateurs.
Car les chantiers sont encore nombreux en raison de « la relation de proximité historique forte entre le régulateur européen et les groupes d’intérêts » alors que, de son côté, la « société civile européenne [est] faiblement organisée » peut-on lire dans un livre blanc de l’Observatoire de l’Éthique Publique, un groupe de réflexion français, intitulé « Un après le Qatargate, comment mieux protéger l’Union européenne contre les conflits d’intérêts et la corruption ? ».
Dans ce rapport très critique, les chercheurs écrivent que « le système actuel […] est défaillant, et nous estimons que la principale raison de cet échec tient à ce que la transparence est considérée comme une panacée » au détriment d’un contrôle extérieur qui serait indépendant et qui pourrait également décider de sanction. Pour l’instant, les organes d’éthique créés par l’Union européenne sont purement consultatifs et sont souvent composés de membres des institutions européennes. « En matière d’éthique et d’intégrité publique, c’est donc l’autorégulation et l’auto-discipline qui prévalent » concluent les auteurs du Livre blanc, et ce même après les mesures prises à la suite du scandale du Qatargate.
Le Qatargate a donc secoué les institutions européennes et le microcosme bruxellois. Mais d’autres affaires ont eu encore moins d’échos. Selon un décompte réalisé par Follow the Money, une plateforme dédiée à l’investigation, 163 députés sur 705 sont impliqués dans 253 affaires au total, d’importance diverse. 45 de ces affaires impliquent de la corruption et 44 du détournement d’argent ou de la fraude. Une nouvelle affaire d’ingérence étrangère a récemment défrayé la chronique : les services secrets tchèques ont assuré avoir démantelé un réseau de désinformation russe impliquant des eurodéputés. Une enquête a été ouverte par la justice belge le 11 avril.
Un arsenal de propositions anti-corruption
À l’approche des élections européennes, la lutte contre la corruption ne fait pas partie des grands sujets de campagne. De nombreux candidats nationalisent ce scrutin et s’éloignent des enjeux européens. Les associations anticorruption alertent pourtant encore : « Il y a un continuum de menaces sur la probité, qui met en danger la démocratie, s’inquiète Kahina Saadi, secrétaire générale de l’association Anticor. La corruption est peut-être plus facile à appréhender quand elle vient d’États étrangers, mais il ne faut pas oublier que les entreprises aussi peuvent corrompre. »
L’association française a donc publié 12 propositions en vue des élections, tout comme Transparency International, qui en a soumis 8 dans un manifeste. Parmi les idées qui se rejoignent : la création d’un organe éthique européen doté d’un pouvoir de sanction et d’enquête. Un « Organe pour les normes éthiques » a bien été adopté à la dernière minute par le Parlement, fin avril, mais il s’agit seulement d’une « ébauche » écrit Transparency.